Hippolyte Romain vu par...

La Maison de MARIE CLAIRE

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Marie MERCIE, modiste (boutique 23 rue Saint Sulpice 75006 PARIS)

Un jour, rue de Seine je suis tombée en arrêt devant des peintures pleines d'énergie et de couleurs, je suis entrée dans la galerie pour déguster ces scênes de la vie parisienne dont certaines avaient été publiées dans la couture épinglée. Le peintre était là et j'ai ainsi fait la connaissance d'Hippolyte Romain qui au gré du temps est devenu mon meilleur ami, un complice fidèle, le suivant dans de belles aventures dont la plus amusante fut celle du Petit Cirque Élégant. Sous sa houlette, je devins clown. Puis le Jules Verne de l'Art Contemporain, un peu lassé de la Butte de Montmartre, est tombé non dans la marmite d'Obélix mais dans un wok à Pékin. Ainsi au fil des saisons, Hippolyte saisit à l'aquarelle, à l'encre, au crayon, des scènes de la vie quotidienne chinoise, réalisant non seulement une œuvre d'esthète mais un travail d'ethnologue fixant monuments et maisons qui rasés de mois en mois sont remplacés par des constructions ultramodernes. Au mois de juillet prochain, l'ami Hippolyte prendra le costume de conteur, à Avignon, un one man show pittoresque : les contes chinois sous la lune, qu'il a inventés. Peintre, dessinateur, ethnologue, écrivain et conteur, voilà les principaux atouts de mon ami Hippolyte Romain.


François BAZIN, directeur du service politique du Nouvel Observateur

La question mérite d'être posée sans détour : en s'engageant hardiment sur la route de la nouille qui, - comme chacun sait - va de Venise à Pékin, Hippolyte Romain a-t-il trouvé la voie de la sérénité ? J'entends déjà les commentaires. Sage, à son âge... Pourquoi ne pas dire tout de suite qu'il a pris un coup de vieux ? J'arrète tout de suite les insolents. Ceux-là n'ont rien compris s'ils estiment que prendre la route de Casanova à l'envers n'est pas la marque d'un esprit éternellement chahuteur. Ces considérations amusées - venant de surcroît d'un ami, compagnon de la longue marche, saltimbanque de second rang dans le petit cirque du grand Timonier seraient d'un intérêt limité si elles ne ramenaient pas à l'essentiel. A-t-il changé? Ma réponse est oui, assurément. Il suffit pour s'en convaincre de regarder ses toiles. Je ne suis qu'un modeste amateur. Mon œil n'est pas celui d'un spécialiste mais je trouve que dans le trait et la composition, dans l'usage de la couleur aussi, il y a chez Hippolyte quelque chose de plus doux, de moins pressé ou, pour dire les choses autrement, de plus évident. Je ne pousserai pas la plaisanterie jusqu'à parler de période céleste. Mais puisqu'il faut conclure en quelques mots, je me contenterai de ceux-là qui, dans mon esprit, disent l'essentiel : le mandarin a l'air heureux.


Judith PERRIGNON, journaliste à Libération : article du 20/10/1996

Elle s'appelait Philomène Boudin, elle zozotait, tapinait, et Paul Verlaine l'aimait. Tant et tant qu'un lendemain d'orage il écrivit, malade, à cette ultime maîtresse : «Ma chère Philomène. Je serai sage comme une image. Pardonne mes énervements. Je ne volerai que pour toi.» A ces mots que l'édition de La Pléiade ignore, Hippolyte Romain, saltimbanque dessinateur, a pris ses crayons. Au garde à vous devant tant d'élégance, «peu de femmes recevront jamais de telles lettres», il a illustré l'une après l'autre, les poésies érotiques de l'auteur mort il y a cent ans. En ce moment, on peut croiser Hippolyte Romain, assis, fixant courbes, plis et taffetas, aux défilés de haute couture dont il est devenu l'un des croqueurs officiels. Là encore, crayons et couleurs en main, il traque l'élégance. C'est là son passe-temps favori et, coup de chance, c'est même devenu son gagne-pain. Sa profession de foi, il la résume ainsi : «La vie est une vraie comédie. Je n'ai aucune certitude. Le futile est une élégance, être léger n'est pas être inconséquent, c'est chercher ce qu'il y a de joli dans l'existence. » À cette recherche, Hippolyte Romain - 49 ans, boucles grisonnantes - a déjà consacré dix-huit livres et trente-cinq expos. Souvent il lui faut regarder loin derrière, vers des siècles qu'il veut croire flamboyants. Parce que le sien - le nôtre - manque, à ses yeux, terriblement de savoir-vivre.

Le voilà tombé bien malgré lui dans une époque où «les gens s'extasient parce que le poissonnier de la princesse se fait faire une turlutte par une strip-teaseuse». Sans sel, pour qui aime tant les histoires d'aristocrates, comme celle-ci, qu'il débite vite et de manière quelque peu théâtrale au milieu de tant d'autres : «Un aristocrate trouve sa femme en train de se faire lutiner par un jeune homme. Il s'approche. Le jeune homme est terrorisé, et alors le monsieur lui dit : "Vous, monsieur ? Sans y être obligé ?!"»

Il est d'un temps où les hommes publics «volent dans la caisse pour une R25, ou pour offrir un pied-è-terre dans le Ve à leur maîtresse qui est pharmacienne». Petit, pour cet amoureux de l'extravagant XVIIIe siècle. «Au moins, on gaspillait l'argent pour faire construire un petit Trianon à sa maîtresse !» Il n'aime que les belles histoires, alors la sienne, il la raconte très vite. Tout au moins ses premiers chapitres qui manquèrent cruellement de légèreté. À16 ans, il est père, quitte sa famille l'enfant sous le bras, s'installe dans une chambre de bonne et s'occupe de faire bouillir la marmite.

Comme son paternel, «mon père a toujours pensé que je serai clochard», il sera représentant en salaison. Chaque mois, il vend ses cinquante, soixante tonnes de saucisson à des supermarchés. Et ça a duré près de vingt ans. Il a aussi fait la manche sur les grilles du métro boulevard Saint-Germain, enseigné le karaté, vendu quelques sapes aux puces. Mais parfois, comme dans les meilleurs contes, le soir habille les paumés de paillettes. Lui, après le saucisson en gros, il dessine au Palace. On est en 1980, c'est l'endroit branché qui monte à Paris, il y passera quelque trois cents nuits qui jamais ne se terminent avant 7 heures. La première fois qu'il reçoit un chèque pour un dessin, il le photocopie, l'accroche au-dessus de son lit où il restera un an. Beaucoup d'autres sont venus ensuite. La rédactrice en chef de Vanity à Milan lui offre quinze pages de mode. Régine Deforges, un livre, en 1985. Le voilà lancé.

Il est devenu l'ami de Christian Lacroix, de Sonya Rykiel, de Chantal Thomas. Pour le film de Robert Altman, Prêt-à-porter, c'est encore lui le croqueur. Et tandis que son crayon crayonne, son oreille s'amuse des coups de griffes, des crocs-en-jambe que se font top models, créateurs et agents pour décrocher le premier rôle. Mais au «duché des vanités», l'ancien représentant en saucisson est à son aise. «Au Palace, j'ai vu la moitié des gens snobs de la planète danser les fesses à l'air. Alors tous ces gens ne peuvent pas me la jouer.» Pas à pas sur les traces de l'élégance, il s'est fabriqué un nouveau décor. Depuis six ans, il promène son Petit Cirque élégant, qu'il a calqué sur celui de la Pompadour : chaque spectacle n'est joué qu'une seule fois, le plus souvent devant des amis, ou des amis d'amis, qui ne paient pas. «Dans une époque de sponsors, c'est l'élégance complète.» Il a lui-même dessiné les soixante mètres de toile du cirque qui, il l'espère, finiront au musée. Il est monsieur Loyal dans sa veste de hussard 1850, dégotée pour pas cher aux puces il y a des années. Autour de lui des copains, journalistes, modistes, attachés de presse, photographes, qui improvisent sur scène et rigolent très fort en coulisses. Ils ont joué Carmen dans l'ancien hôtel particulier de Bizet, un opéra minute de Darius Milhaud à Marseille, défilé chez Lili la Tigresse, animé les rues d'Avignon ou la place Saint-Sulpice. Quand la troupe part en province, Hippolyte emporte sa collection de couverts en vermeil, avec cure-dents en or. Ils sont XVIIIe évidemment, de cette époque de «légèreté à la vie, à la mort». Le dessinateur élégant aime faire le bouffon et fréquenter vaguement Shakespeare.

Il édite aussi. Référence à Verlaine toujours, sa collection s'appelle «Sous le manteau». C'est également une petite machine à remonter le temps. Déjè trois recueils de textes et dessins sont parus : la Caresse espagnole, Cuisse de nymphe émue ou l'Art des couleurs perdues, la Baiseuse ou l'Art de positionner les mouches. Il aimerait sortir bientôt «le guide des filles légères du Palais-royal à l'usage de l'étranger galant».Il le connaît par cœur, le récite très vite. Au passage, on retient de cette longue liste frivole : "La grande Suzon, belle en cuisse; deux Louis six sol, passage Valois.!" Bien des mondes sont passés sous ses crayons. Avec un ami journaliste, dresseur de poissons rouges du Petit Cirque Elégant, il a tiré le portrait de Juppé, Rocard, Mauroy, Marchais... dans Politic Circus. Aujourd'hui, Hippolyte Romain promène des yeux fatigués sous son chapeau. Il se souvient qu'il se rêvait grand reporter, un Robert Capa muni d'un simple crayon. Les plus beaux reportages sur la guerre de 14 sont dans l'Illustration, dit-il. "Un photographe, on lui arrache son appareil photo. Quand vous dessinez, vous êtes un peu sorcier. Le dessin est la première écriture du monde.!" S'il parle ainsi, c'est parce qu'il revient de Chine où il est parti dessiner les trésors de la Cité interdite pour le Figaro Magazine en prévision d'une exposition au Petit Palais. Là-bas, dans une rue de Pékin, il a croisé une classe d'enfants cravatés en train de se faire engueuler. Lui sur le trottoir d'en face, il est passé derrière un drap qui séchait. Il a sorti le nez rouge qui ne le quitte jamais. Les enfants ont ri. Alors voilà le rêve prochain d'Hippolyte Romain: "Faire un spectacle avec le cirque en Chine et offrir dix millions de petits nez rouges aux enfants chinois.!" Parce qu'être leger n'est pas être inconséquent.


Dominique PAULVE, journaliste

Pour certains, c'était un compliment, pour d'autres une offense : d'aucuns reprochaient à Jean Cocteau d'être un "touche à tout !". Ils ajoutaient quand même, forcés par son talent, "de génie !". Hippolyte Romain est de cette race-là, homme-orchestre maniant son pinceau avec une rapidité fulgurante, croquant tout aussi justement personnalités du monde de la mode, gondoles à Venise, lieux parisiens ou vie quotidienne à l'autre bout du monde. Et puis aussi l'univers chamarré des gens du cirque, qu'il a réinterprété à sa manière, décalée et poétique, en créant son «Petit Cirque Elégant».

La première fois que j'ai rencontré l'artiste, c'était il y a peut-être une quinzaine d'années -les gens qui s'aiment ne comptent pas le temps qui passe- il était venu sur le plateau de l'une des émissions de Frédéric Mitterrand brosser en quelques secondes une fresque éblouissante. Ce qui nous avait charmé était la gentille simplicité avec laquelle il avait réalisé cela, et cette apparente désinvolture, cachant en fait un sens magistral d'observation que tout un chacun peut vérifier dans la trentaine de livres qu'il a dessiné et écrit, encore une des facettes de sa virtuosité.

Et puis il y a eu sa grande rencontre avec la Chine. Hippolyte a exploré et explore régulièrement cet immense pays, il s'est imprégné de sa culture magnifique, et nous donne aussi, en collaboration avec son fils Yann, photographe, des promenades initiatiques et nomades dans le Tibet du Nord-Est. Pour notre bonheur, ses récentes aquarelles rehaussées d'encres de Chine, nous font voyager au cœur d'un certain Pékin, le sien, dont il nous fait partager le charme aussi désuet que magistral, tandis qu'il fait découvrir les fables de La Fontaine aux enfants d'une banlieue de Pékin toutes ces jolies choses qui ne finissent pas de nous surprendre, qu'il soit ici remercié.